
Avec la crise, la machine s'est grippée. Les entreprises ne génèrent plus assez de cash.
La SAUR sera-t-elle la première victime française des opérations de LBO ("leveraged buy-out"), ces rachats d'entreprise à grand renfort de dette par des fonds d'investissement ? Le cas du numéro trois français de la distribution d'eau est scruté par les spécialistes de ce type d'opérations.
"Il y a un net durcissement des conditions de renégociation des dettes d'entreprises sous LBO, qui atteignent un niveau de tension jamais vu en quinze ans", confirme Lionel Spizzichino, avocat au cabinet Paul Hastings.
Réalisés pour la plupart durant les années fastes du crédit, jusqu'en 2006-2007, les emprunts des opérations de LBO étaient censés être remboursés par l'activité des entreprises rachetées – même s'il fallait pour cela six à sept ans de bénéfices.
LES MAUVAIS PAYEURS SUR LA SELLETTE
Avec la crise, la machine s'est grippée. Les entreprises ne génèrent plus assez de cash. Et les banques, soumises à des règles prudentielles plus contraignantes, leur prêtent moins pour refinancer leur dette. Quant aux fonds, habitués à rester cinq à sept ans au capital des entreprises avant d'empocher leurs gains, les voilà "collés" sur des dossiers invendables.
La situation n'est pas inédite : au plus fort de la crise, en 2008 et 2009, de premières renégociations de dette LBO avaient eu lieu entre banquiers et fonds actionnaires, afin d'éloigner le couperet de la dette. Mais, comptant sur un redémarrage de l'économie, elles étaient "relativement cosmétiques – personne ne voulait afficher de perte", résume Guillaume Kuperfils, avocat au cabinet Mayer Brown. Conséquence : les mauvais payeurs d'hier se retrouvent à nouveau sur la sellette.
Le fabricant de tuiles Terreal, objet de négociations en 2009, ploie sous près de 500 millions d'euros de dettes remboursables en 2015. Après deux restructurations, la situation du spécialiste des toitures Monier reste fragile. Chez Numéricâble, l'échéance a été repoussée à 2019.
Mais l'horloge tourne, le "mur de la dette" grossit : 99 milliards d'euros de prêts liés à des opérations de LBO arriveront à maturité en 2013 dans le monde, selon le cabinet Dealogic, 50 % de plus qu'en 2012. Le pic est attendu en 2014, avec 133 milliards à refinancer, dont 13 milliards en France.
"GARE AU CERCLE VICIEUX"
Bien sûr, tous les cas ne donneront pas lieu à des faillites. La semaine dernière, la société de services aux entreprises Elis, détenue par le fonds Eurazeo, a pu allonger la maturité de ses emprunts de 2014 à 2017, par un emprunt obligataire. "Mais gare au cercle vicieux : plus elle a d'intérêts à rembourser, plus la société doit générer de bénéfices", résume un expert.
Surtout, cela ne fonctionne que si chacun y met du sien. Chez le chimiste Materis, l'échéance a été repoussée jusqu'en 2015-2016 mais la maison-mère Wendel a dû réinjecter des fonds propres l'été 2012. Les actionnaires de PagesJaunes (KKR et Goldman Sachs) viennent, eux, de perdre le contrôle face à un autre fonds, Cerberus. Les banques commencent à se résoudre à échanger leurs créances contre des actions : ce pourrait être le cas pour Terreal ou la SAUR.
A l'Association française des investisseurs pour la croissance, qui représente les 1 500 sociétés françaises sous LBO, on relativise. "En France, seul 1 % des entreprises financées par capital-transmission a fait faillite en 2012. Ce n'est pas supérieur à l'ensemble des entreprises françaises", note son président, Louis Godron.
Mais le mouvement est mondial. En témoignent les vicissitudes de TXU, le plus gros LBO de tous les temps. Victime de la chute du marché de l'électricité, le producteur texan, racheté par 40 milliards de dollars de dette en 2007, fait l'objet d'un bras de fer entre les fonds et les banques. Les négociations sont au point mort.
Source Le Monde par Audrey Tonnelier
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire