"Porcelaine de Limoges et blindage." L'association des deux expressions peut paraître incongrue. Pourtant, cette alliance entre délicatesse et robustesse était l'une des vedettes du premier Forum Innovation organisé à Paris par la Direction générale de l'armement (DGA), mardi 27 novembre. Dans une vitrine, aux côtés d'un catalogue des porcelaines et bijoux Bernardaud et d'une assiette au motif peint représentant des feuilles d'automne, était exposé un plastron en céramique. Autour étaient également disposés de petits carrés et losanges de différentes tailles, dans la même matière. Une manière, pour cette manufacture familiale, de présenter sa diversification dans la défense, la première opérée en près de cent cinquante ans.
"C'est un clin d'oeil, car ce n'est pas forcément là où l'on nous attendait", s'amuse Michel Bernardaud, président du directoire. Le contraste est d'autant plus fort que dans la vitrine voisine, sous le slogan "Un matériau pour amplifier la vitesse des bolides fusées et missiles", le missilier MBDA expose un cône en matériaux composites inorganiques résistant aux hautes températures. Rien à voir avec les arts de la table.
Programme Brennus
L'idée remonte à 2004. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie et des finances, était venu à Limoges chez Bernardaud annoncer la mise en place des pôles de compétitivité. "Nous avons alors décidé de profiter des capacités de recherche locales pour chercher de nouvelles utilisations de la céramique. Nous avons identifié le blindage", raconte M. Bernardaud. Avec l'université de Limoges et l'Ecole nationale supérieure de céramique industrielle (Ensci), des travaux sont lancés et la DGA est contactée.
"Nous leur avons demandé d'aller plus loin dans leur recherche avant de les financer, ce qu'ils ont fait dans une thèse", raconte Pierre-François Louvigné, expert en matériaux à la DGA. Il s'agissait de prouver les capacités de résistance balistique de cette céramique. Le programme Brennus est lancé pour élaborer des céramiques composites. La DGA apporte 2,3 millions d'euros sur les 4 millions nécessaires au programme. Un engagement justifié par la volonté de développer une filière d'approvisionnement en France. Aujourd'hui, 99 % des achats sont faits à l'étranger, les grands producteurs étant américains, allemands ou italiens.
"Nous soutenons également un bassin d'emploi qui a un savoir-faire technique", insiste M. Louvigné. "La fabrication de cette céramique est compatible avec notre équipement industriel", renchérit M. Bernardaud, qui souligne que ce nouveau matériau est plus "léger et plus résistant" que ceux existant sur le marché.
Cette céramique beaucoup moins dense que l'alumine, dont la composition est maintenue secrète, servira au blindage des véhicules ou à celui des gilets pare-balles. Dans ce dernier cas, une plaque dure est insérée dans la protection du dos et du thorax. Sa solidité permet de casser le projectile. "Nous serons le seul [fabricant] français à produire de telles protections en France", affirme M. Bernardaud.
En effet, si Saint-Gobain est présent sur ce marché, ces produits sont fabriqués en Allemagne et aux Etats-Unis. La firme de Limoges espère décrocher rapidement sa première commande, qui ne viendra pas forcément de l'Hexagone.
Les recherches vont se poursuivre car le marché de la protection balistique, à haute valeur ajoutée, est appelé à se développer. L'objectif est aussi que cette filière puisse fournir, à un coût intéressant, des marchés qui ne le sont pas aujourd'hui, à commencer par la protection des bateaux ou des infrastructures préfabriquées.
Source Le Monde par Dominique Gallois
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