La 15ème conférence internationale du « Passivhaus » a rassemblé, fin mai, plus de 1.200 participants, de près de 40 pays, à Innsbruck en Autriche dont Ulrich Rochard, ingénieur au bureau d'études Pouget Consultants. De retour, il fait le point sur le développement du concept « Passif ».
La conférence internationale du « Passivhaus » a été pour moi une occasion de retrouver beaucoup de mes confrères avec qui j'ai partagé le chemin du « Passivhaus » durant les 15 dernières années mais aussi d'échanger avec des jeunes architectes et ingénieurs venus de la Corée du Sud, du Chili ou de l'Australie, enthousiastes pour des solutions et des concepts permettant de construire des bâtiments adaptés aux nécessités du futur.
Démarré en Allemagne il y a environ 20 ans, le mouvement « Passivhaus » connait aujourd'hui une très forte dynamique à travers le monde entier. L'Allemagne, l'Autriche et la Suisse (Minergie-P) gardent tout de même une grande avance concernant le nombre de bâtiments réalisés, les connaissances, les expériences et les produits et solutions techniques à mettre en œuvre. Entre temps l'Autriche a d'ailleurs largement dépassé l'Allemagne en termes de densité (logements « Passivhaus » par habitant). Au niveau mondial on estime le nombre de bâtiments passifs à environ 30.000 dont 16.000 en Allemagne. L'internationalisation de ce mouvement se traduit entre autre par la création de l'association internationale du Passivhaus iPHA qui regroupe après moins d'un an d'existence plus de 900 membres de 35 pays.
Le label « Passivhaus » exige pour tous types de bâtiment et indépendamment de la zone climatique un besoin de chauffage maximal de 15 kWh(m²Shab.an) et une consommation en énergie primaire maximale de 120 kWhEP(m²Shab.an) pour tous usages (électroménager, bureautique, ascenseurs etc. compris). Ces valeurs doivent être calculées selon la méthode de calcul PHPP, spécifique aux bâtiments passifs. Elles sont difficilement traductibles et comparables aux valeurs issues du calcul réglementaire français RT 2005, mais elles correspondent à un ordre de grandeur de 2 à 4 kWh(m²SHON.an) pour le besoin de chauffage selon la méthode Th-C et à environ 75 kWhEP(m²SHON.an) pour la consommation en énergie primaire pour tous usages calculée avec les coefficients de transformation en énergie primaire de la RT 2005.
Plusieurs études en Allemagne et en Autriche montrent, que ce niveau énergétique est le plus économique au niveau du coût global. Il répond ainsi à la cible fixée par la directive européenne 2010/31/UE de juillet 2010, qui vise pour 2020 des bâtiments neufs avec une consommation énergétique près de zéro avec un coût global optimisé. Les prix encore très élevés pour des produits et des équipements de haute performance énergétique en France ne mènent probablement pas encore au même résultat chez nous. Néanmoins les produits sont disponibles sur le marché français, expérimentés et parfois déjà dans la troisième génération de développement : des menuiseries isolantes avec triple vitrage, des systèmes de ventilation avec récupération performante et faible consommation électrique, des isolants à très faible conductivité thermique, des rupteurs thermiques etc. Ils disposent en général d'un avis technique national (selon article 8 de la RT 2012 équivalant à un avis technique français) ou d'un avis technique européen. Il ne reste donc plus qu'à les utiliser et à les intégrer dans nos projets de construction ou de réhabilitation pour faire évoluer le marché et déclencher une baisse des prix comme elle a déjà été observée dans les pays pionniers.
L'internationalisation et l'adaptation du label aux différentes conditions climatiques à travers le monde impliquent une nouvelle réflexion sur les exigences énergétiques du label. On revient donc plutôt vers les exigences fonctionnelles qui étaient déjà établies au début du développement du concept « Passivhaus » il y a 20 ans. Les exigences essentielles sont :
· La possibilité de chauffer ou de refroidir un bâtiment uniquement par le traitement thermique de l'air hygiénique nécessaire pour les occupants. On peut ainsi supprimer un système supplémentaire de distribution de chaleur. Cette exigence mène à une puissance maximale nécessaire d'environ 10 W/m².
· Exigence envers la réduction des ponts thermiques pour éviter des pathologies liées à l'humidité.
· Exigence envers la température minimale des surfaces intérieures et envers une température maximale en été pour assurer un excellent confort thermique.
· Exigence envers un système de ventilation pour assurer la qualité d'air intérieur
· Exigence envers l'étanchéité à l'air
Ces exigences fonctionnelles permettront dans le futur d'adapter les valeurs énergétiques maximales du label aux différents climats, de l'extrême froid en Sibérie, au chaud-humide à Shanghai ou au chaud-sec à Las Vegas.
Mais il reste d'autres adaptations du label à prévoir : par exemple la prise en compte plus détaillée des consommations d'éclairage et des autres usages. Et la question de l'énergie grise est posée. Là le label suisse Minergie-Eco montre éventuellement un chemin à suivre.
Deux projets phares présentés à la conférence montrent bien à mon avis la direction à prendre pour l'année 2020 :
· Village olympique à Innsbruck
A proximité du quartier de bâtiments passifs Lodenviertel , le bailleur social « Neue Heimat Tirol » a construit 444 logements « Passivhaus » comme village olympique pour les 1er Jeux Olympiques d'Hiver de la Jeunesse, qui se dérouleront en janvier 2012 à Innsbruck. Les jeux ont été attribués en décembre 2008. Les logements ont été construits en moins de deux ans et vont être livrés à l'automne cette année pour un prix de construction de 1550 EUR/m² Shab. Les logements vont être loués après les jeux pour 7,80 EUR/(m².mois), charges et chauffage compris.
· Le nouveau quartier Bahnstadt à Heidelberg
Pour ce quartier d'une surface de 116 ha (conversion d'un site ferroviaire au cœur de la ville) la ville de Heidelberg a prescrit le niveau « Passivhaus » pour tous les bâtiments. Le plan directeur prévoit 1.700 logements et environ 5.000 places de travail dans les commerces, le tertiaire et les équipements publiques. La densification du site et un bouclage du réseau de chaleur existant par le site permet d'installer une distribution de chaleur urbaine sous des conditions économiques malgré le faible besoin de chauffage des bâtiments. Ce réseau sera alimenté par une nouvelle centrale de cogénération à base de bois, ce qui permettra au bilan global du quartier d'être neutre en carbone. Sa localisation près des transports publiques et la forte mixité sur le site permettent une réduction importante des déplacements en voiture. La généralisation des toitures végétalisées et d'autres mesures pour la gestion des eaux pluviales reflètent la prise en compte de beaucoup d'autres aspects écologiques.
Une grande partie de la conférence était consacrée à la rénovation énergétique. Une vingtaine d'interventions sur les 90 au total traitaient des projets de rénovation ou des thèmes liés. L'importance de la réhabilitation énergétique se traduit également par la création du label EnerPHit (Energy retrofit with Passif House components) pour la réhabilitation énergétique avec des composants « Passivhaus ».
Deux interventions lors de la conférence m'ont personnellement fortement touché :
· Une participante (responsable du réseau « Passivhaus » au Japon) a retracé dans un récit émouvant les évènements du Tsunami et de la catastrophe nucléaire dans son pays et a demandé le soutien à leur action de fournir des bâtiments provisoires en bois aux personnes évacuées, qui vivent toujours par milliers dans des gymnases et des écoles. Elle a rappelé que la réhabilitation énergétique des bâtiments japonais avec des composants « Passivhaus » peut économiser autant d'énergie que produisait jusqu'à présent le parc nucléaire japonais.
· Pour la première fois l'Institut « Passivhaus » a décerné une distinction pour les pionniers de l'efficacité énergétique : le « Passif House Pioneer Award ». Le premier destinataire est Amory B. Lovins. Ce physicien américain est pour ma génération un des grands exemples du mouvement de la non-énergie. Il n'a pas seulement établi les fondations théoriques des « Negawatts » (il prônait déjà dans les années 70 le facteur 4 dans l'efficacité énergétique), mais il a aussi créé le Rocky Mountains Institute, d'où sont issues de nombreuses impulsions et il a construit une des premières maisons à très faible consommation énergétique, révolutionnaire à l'époque.
Je souhaite que les principes de base du concept « Passivhaus » et les réflexions et les discussions qui y sont liées puissent enrichir le processus d'élaboration des nouveaux labels de haute performance énergétique en France et que l'esprit de partage des connaissances et des expériences qui régnait à cette conférence puisse rayonner sur nous pour mieux avancer ensemble vers les défis énormes dans le secteur du bâtiment.
La 16ème conférence internationale du « Passivhaus » aura lieu le 4 et 5 mai 2012 à Hanovre.
Pour en savoir plus sur le Passivhaus:
www.passiv.de
www.lamaisonpassive.fr
www.passivehouse-international.org
www.passipedia.org
Source Le Moniteur par Ulrich Rochard
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire