La Fédération de l'industrie européenne de la construction (FIEC) et les "European International Contractors" (EIC) ont adressé fin octobre un courrier commun aux présidents des grandes institutions européennes (Commission, Parlement, Conseil et Banque européenne d'investissement) pour les alerter sur l'accès des entreprises chinoises aux marchés publics européens dans des conditions qu'ils estiment intenables pour des groupes de l'UE.
La Banque européenne d'investissement (BEI) vient d'accorder un prêt de 825 millions d'euros au Fonds national des routes polonais, dont 500 financeront la construction de l'autoroute A2 entre Lodz et Varsovie (90 km). Or deux (A et C, soit 49,2 km) des cinq lots de ce tronçon d'autoroute ont été attribués cet automne à un consortium conduit par China Overseas Engineering Group et comprenant des sociétés soutenues par des capitaux d'Etat par la Direction des routes nationales et des autoroutes (GDDKiA), la société publique polonaise. Dans les deux cas, il a proposé des prix imbattables (respectivement 182 et 131 millions d'euros), inférieurs de près de moitié aux montants prévus par les autorités. Les quatre recours engagés par les perdants ont été rejetés par les autorités polonaises. 25 Chinois sont déjà sur place pour préparer le chantier qui démarrera au printemps 2010. Le consortium chinois a justifié auprès de l'autorité adjudicatrice la faible valeur de son offre par plusieurs raisons, parmi lesquelles sa surface financière, son expérience (JO de Pékin), sa capacité à acheter matériels et matériaux, l'absence de recours aux fonds européens (sic), l'apport de main d'œuvre bon marché ou encore son intention de respecter toutes les réglementations.
Face à l'émotion suscitée par cette affaire chez les groupes de construction européens, la Fédération de l'industrie européenne de la construction (FIEC) et les "European International Contractors" (EIC) ont adressé fin octobre un courrier commun aux présidents des grandes institutions européennes (Commission, Parlement, Conseil et Banque européenne d'investissement). Ce courrier, qui n'a reçu à ce jour aucune réponse, leur demande notamment si l'utilisation des subventions et prêts de l'Union européenne garantit effectivement le respect de procédures équitables et transparentes en ligne avec le droit européen. Mais plus globalement, il alerte les institutions sur l'accès des entreprises chinoises aux marchés publics européens dans des conditions qu'ils estiment intenables pour des groupes de l'UE.
"Entreprise chinoise ou européenne, nous n'allons pas décider pour notre client comment il va utiliser cet argent, pourvu que l'entreprise chinoise respecte toutes les règles et c'est le cas", a simplement déclaré Dusan Ondrejicka, porte-parole de la Banque européenne d'investissement, interrogé après que la BEI ait fait savoir qu'elle finançait ce projet.
Les grandes sociétés européennes, l'autrichien Strabag, le suédois Skanska, l'espagnol Ferrovial, qui se partageaient le marché polonais jusqu'ici, "sont plus avides, les Chinois se contentent d'un bénéfice honnête", affirme Jerzy Frenkiel, P-DG de la société Decoma, partenaire polonais de l'entreprise chinoise. Le responsable d'un groupe européen interrogé par le Bulletin européen du Moniteur estime pour sa part que ce type d'offre n'est possible que grâce à des arrangements illégaux (recours à des ouvriers chinois employés hors du cadre législatif polonais à des tarifs qui sont inférieurs de moitié au coût horaire d'un Polonais, importation de matériaux chinois à bon prix, établissement de prix sans provisions pour risques, voire travail à perte). D'autres estiment qu'il convient d'attendre pour voir si les Chinois honorent leurs contrats en termes de délais et de qualité, à défaut de savoir s'ils gagnent de l'argent.
Alors faut-il avoir peur des constructeurs chinois ?
Selon les cabinets britanniques Global Construction Perspectives et Oxford Economics, d'ici 2020, la Chine sera le premier marché mondial de la construction, avec une part de 19,1 % du total. Dans le classement mondial des constructeurs réalisé par la revue américaine ENR (Engineering News Record), 5 des 10 premiers groupes sont chinois.
L'intérêt de ces derniers pour l'Afrique ou la Russie était connu, mais jusqu'ici ils n'étaient pas présents dans l'Union européenne. Avant de crier au loup et de dire que les Chinois attaquent le marché européen par la Pologne, le Bulletin européen du Moniteur a essayé d'y voir clair. Pour l'instant, on peut dire que leur activité dans les autres pays reste tout à fait anecdotique.
En Roumanie, la présence des Chinois est assez limitée dans le BTP. Le projet de pont sur le Danube attribué à des Chinois est au point mort depuis des années, de même que le projet d'aéroport cargo. Le vice-président chinois s'est rendu récemment en Roumanie et le maire de la capitale, Sorin Oprescu, a évoqué à cette occasion la possibilité de construire une autoroute suspendue avec le groupe Shanghai Construction.
En Hongrie, le Premier ministre a invité récemment la Chine à investir davantage dans le pays à l'occasion d'une rencontre avec le vice-président Xi Jinping. Il propose que la Hongrie devienne une plate-forme commerciale régionale pour la Chine, qui est son premier partenaire commercial hors UE. Mais si en 2008, le ministre des Finances a œuvré pour que les Chinois de Shanghai Construction investissent 200 milliards de dollars dans des projets de génie civil, l'opération ne s'est pas concrétisée et aucun gros projet n'a pour l'instant été emporté par des constructeurs chinois.
La Pologne, plus grand marché d'Europe de l'Est avec ses 40 millions d'habitants, géographiquement très à l'est de l'Europe et riche de très nombreux projets d'infrastructures, est de loin le marché le plus attirant. Les Chinois, toujours discrets, s'y intéressent depuis plusieurs années. La ville de Kielce a en effet créé l'an dernier une société mixte avec l'investisseur Xiaohui Zeng pour inciter des entrepreneurs chinois à venir construire des logements. Kielce a également noué des relations avec le groupe de bâtiment China International Industry and Commerce. De son côté, China Overseas Engineering Group a ouvert son bureau à Varsovie il y a trois ans. Le vice-président du groupe, Zhao Xiang, a indiqué en juillet dernier à un site internet spécialisé qu'il regardait également les projets d'infrastructures en Bulgarie, Roumanie et Hongrie ainsi qu'en Ukraine. "La Russie reste pour nous trop imprévisible pour l'instant", avait-t-il ajouté.
Source Le Moniteur par Laurence Francqueville
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