Les Miléviens, par exemple, évoqueront toujours avec une fierté non dissimulée la vieille fontaine romaine appelée localement «Aïn El-Blad». Il est à peine sept heures. En ce début de journée de Ramadhan, le vieux Mila paresse, semble engourdi. Seuls les piaillements de quelques enfants jouant parmi les vestiges brisent le silence de ces lieux où la fontaine en assez bon état de conservation, continue de couler au grand bonheur de trois canards blancs glissant paisiblement sur son eau coulant dans une seguia.
C’est la seule fontaine romaine de la ville coulant encore à travers une canalisation construite à la même époque, affirment des spécialistes qui précisent que le tracé réel de l’aqueduc reste toujours méconnu, même si l’on «croit savoir avec une probabilité plutôt forte» que la source de cette eau jaillit des entrailles du mont Marcho qui domine avec majesté toute la ville. L’antique Milev faisait partie sous les Romains, notamment sous le règne de Jules César, de l’une des quatre villes constituant la confédération de Cirta. Les historiens assurant qu'elle accueilli deux importants conciles ecclésiastiques en l’an 402 puis en l’an 416. Le dernier a été présidé par saint Augustin lui-même. La fontaine dont l’eau est chaude en hiver et fraîche en été, est située en contrebas d’un passage qui mène vers les vieilles échoppes puis vers la porte «Bab El-Blad» creusée dans le mur byzantin ceinturant tout le vieux Mila. Ce mur historique a été construit par le général Salomon après la conquête de Milev en 539/540 par les Byzantins. Ces derniers, conscients de l’importance religieuse et stratégique de la ville, en firent une citadelle surmontée de 14 tours de vigie.
Cette muraille continue, en dépit de certains signes de «fatigue», de résister aux assauts du temps et de tenir tête à la négligence des occupants actuels de la cité qui accordent à ces vestiges bien moins d’intérêt que leurs aïeuls. Un des coins visibles de ce monument a même été transformé en décharge sauvage sans que cela n’émeuve, apparemment, ni les gestionnaires de la ville, encore moins les pourtant fougueux défenseurs du patrimoine. L’état de la vieille cité qui occupe une aire de sept hectares n’est guère plus reluisant. En plus des détritus répandus un peu partout et les eaux suintant sans cesse, les passages piétonniers réalisés avec des pavés se dégradent inexorablement comme un peau de chagrin. Les bâtisses, pendant ce temps, s’effondrent ou menacent de s’effondrer au moment où le béton armé «avale» goulûment des pans entiers du vieux Mila, défigurant son style architecturale originel. Les dégâts occasionnés aux passages pavés pour les besoins de pose des réseaux divers sont perceptibles à l’œil nu. Une ancienne assemblée élue avait même ordonné le bitumage sommaire de certaines parties de ces passages sous prétexte de permettre la circulation des ambulances. Nonobstant ces pratiques malheureuses, le vieux Mila a malgré tout bénéficié, au cours des dernières années, d’un intérêt croissant pour sa protection, sa restauration et la valorisation de son patrimoine historique. Il y a deux années seulement, la cité a été classée par le ministère de la culture patrimoine national protégé. Les «Amis du vieux Mila», nom d'une association très active, ont lancé plusieurs campagnes, parvenant à ouvrir un siège au sein même d’un des monuments, à réaliser des plaques renseignant sur certains vestiges et à concevoir un circuit touristique pour le vieux Mila de concert avec des enseignants et des étudiants du département d’histoire de l’université de Constantine. De même que plusieurs thèses en post-graduation ont eu pour thème des monuments ou des phases de la longue et riche histoire de Milev.
Après la conception d’un «plan permanent de sauvegarde du vieux Mila», consacré, en plus des vestiges romains et byzantins, à une multitude de zaouïas, de mosquées et autres monuments, les actions concrètes tardent à se concrétiser en raison, explique-t-on, des longues procédures. Un retard qui chaque jour entraîne des dégâts supplémentaires pour le site.
L’engagement de ce plan prendrait pourtant en charge le cas très complexe des 167 habitations, 24 locaux commerciaux et autres équipements, note un des passionnés de cette cité séculaire, en s’interrogeant sur la date de démarrage de pareilles actions salvatrices.
L’intérieur de la vieille caserne est également calme en ce moment de la journée. Des pigeons, profitant de la sérénité ambiante, picorent près de la statue de Mellou et devant la porte de Sidi-Ghanem, la plus vieille mosquée d’Algérie. C’est en effet vers l’an 56 de l’hégire (679 de notre ère) que le compagnon du Prophète (QSSSL) et grand conquérant musulman, Abou Mouhadjir Dinar, fit construire ce lieu du culte ainsi que Dar El-Imara (quartier général) où il siégea pendant deux années après avoir transformé Mila en poste avancé des armées des Foutouhate musulmanes au Maghreb.
Ce vestige, mis au jour vers la fin des années 1960, attend encore les fouilles et les actions de restauration promises par les multiples projets d’études.
Seule une action «superficielle et limitée» de restauration a été à ce jour menée, déplorent les «Amis du vieux Mila» qui regrettent aussi l’utilisation de ciment qui a causé des préjudices «difficilement réparables».
Non loin de Bab El-Blad, à l’extérieur du vieux Mila proprement dit, se dressent les vestiges des fours utilisés pour la production de briques et de tuiles sur un site appelé aujourd’hui «El-Mayachir». Les personnes âgées de Mila se souviennent encore des groupes d’ouvriers conduisant toute une caravane d’ânes vers le site de Bounegouch pour apporter l’argile chargée dans des «zanabil» (gros sacs d’alfa) portés sur les dos de ces équidés. De retour à El-Mayachir, ces ouvriers préparent l’argile en y ajoutant de l’eau puis la pétrissent avec leurs pieds. Une fois prête, la pâte est placée dans des moules qui doivent sécher quelques temps avant d'être enfournés. Des efforts ont récemment été déployés par la wilaya et l’association des «Amis du vieux Mila» pour ressusciter cette activité artisanale, mais le manque de main-d’oeuvre qualifiée et les faibles débouchés pour de tels produits ont donné un coup d’arrêt à cette initiative.
La vieille ville sort petit à petit de son engourdissement. Le soleil de Ramadhan monte plus haut dans le ciel milévien et les habitants commencent à vaquer, de plus en plus nombreux, à leurs occupations, signifiant la fin de la flânerie. Soudain, un enfant traverse le passage pavé de la cité, ahanant et traînant deux cageots de figues bien dorées.
Des fruits cueillis directement des derniers vergers de Milev, cette vieille et bien généreuse cité.
Source La Nouvelle République
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire