C’est la partie de poker la plus terrible que je n’ai jamais jouée. Il voyait nos cartes alors que son jeu à lui était couvert. Et il y avait la vie de quelqu’un en jeu.» Jean-Luc Maury-Laribière, toujours impeccable, a hérité du self-control de son père. Pourtant? 27 ans après, il ne parvient pas à dissimuler totalement son émotion quand il se replonge dans le fait divers qui a fait trembler Roumazières et tenu la France entière en haleine, du samedi 28 juin au mercredi 9 juillet 1980: l’enlèvement de son père, Michel Maury-Laribière, PDG des tuiles TBF à Roumazières et vice-président national du CNPF, le syndicat des patrons à l’époque.
«J’ai zappé cette histoire. Dans la famille, on a tous fait un effort pour oublier. Je n’ai rien gardé».
Les plus grands flics de France
Jean-Luc Maury-Laribière se souvient à peine du nom du policier avec lequel il a campé dans son bureau pendant ces onze jours d’angoisse: «un certain Bardon». Patron de la PJ à Bordeaux à l’époque, Claude Bardon a pourtant terminé sa carrière comme directeur des renseignements généraux. Tous les grands flics que le pays a compté ces trente dernières années ont flairé la piste de Michel Maury-Laribière: Honoré Gévaudan, le directeur-adjoint de la PJ, le célèbre commissaire Pellegrini, le commissaire Lucien Aimé-Blanc, patron de l’anti-gang, Broussard, l’homme qui a mis fin à la carrière de Mesrine. Au total, plus de 600 policiers, CRS et gendarmes, quadrillant toute la région pendant cette opération baptisée «boule de gomme».
L’époque est marquée par les enlèvements de grands patrons: Aldo Moro, assassiné en Italie par les Brigades Rouges, Hanss-Martin Schleyer, le patron des patrons allemands, exécuté par la bande à Baader, ou le terrible calvaire du baron Empain. Et maintenant Michel Maury-Laribière.
Mais Jacques Hyver, le ravisseur de l’industriel charentais, n’a rien du terroriste d’extrême gauche. Ce n’est qu’un petit voyou de 31 ans, condamné trois fois pour vol, escroquerie et chèque sans provision. C’est en lisant dans un magazine économique un article sur cette figure du patronat qu’il a l’idée de l’enlever en se déguisant en gendarme.
C’était un samedi matin comme les autres. A 7h45, Michel-Maury Laribière avait quitté sa villa de Confolens au volant de sa CX marron. Après avoir passé la semaine à Paris, il avait l’habitude de se rendre à l’usine pour faire le point avec son fils Jean-Luc. Mais à 8h30, il n’était toujours pas arrivé à Roumazières. «Il était ponctuel. J’ai trouvé cela bizarre. J’ai décidé de faire la route à l’envers».
Enlevé sur la route
de son usine
Sur la D59, entre Confolens et Manot, sur la commune de Saint-Maurice-des-Lions, le fils aperçoit la voiture paternelle à l’entrée du chemin creux. Avec ce mot sur le siège avant: «Michel Maury-Laribière a été enlevé. Ne prévenez pas la police. Nous exigeons une rançon de 3 millions de francs. Les instructions suivront».
«La somme demandée n’était pas aberrante et c’était justement le problème», se rappelle Jean-Luc. Très vite, les cadres de TBF proposent spontanément de payer avec leur prime de participation: «Il avait tellement fait pour nous. C’était mon père spirituel. On était prêt à tout pour le revoir, quel que soit le prix», raconte Jean Labarrussias, l’ancien ouvrier tourneur, promu directeur technique par le patron paternaliste.
«Beaucoup nous disaient qu’il fallait payer. Mais déontologiquement, ce n’était pas possible. D’autant plus qu’on n’avait aucune assurance. D’un autre côté, la vie de mon père était en jeu». La pression est terrible. Jean-Luc Maury-Laribière pense à sa mère, à toute la famille, aux 400 ouvriers. Et à son père, avec lequel «je m’entendais comme larrons en foire».
Des rendez-vous qui échouent
Commence alors un haletant jeu de piste. Le ravisseur prend contact par téléphone. Il appelle à l’Union patronale de la Charente, il joint aussi les cadres de l’usine. «J’ai eu Hyver à deux reprises. J’avais les jambes qui tremblaient. Il voulait qu’on agisse auprès de Jean-Luc pour qu’il paye», raconte Jean Labarussias.
En parfaite complicité avec la police, l’aîné des Maury fait semblant de jouer le jeu. Il suit les instructions du ravisseur qui, toutes les nuits, le balade partout dans la région, avec trois millions de francs dans un sac. Il est suivi à distance par les policiers, qui ont équipé sa voiture d’un émetteur. Mais Hyver se méfie. Et tous les rendez-vous se terminent en queue de poisson. Des dizaines de journalistes font le pied de grue devant la grille de la propriété confolentaise ou Manuel, le benjamin de la famille, se débrouille pour… brouiller les pistes. «On se relayait jour et nuit. Et pour rentrer sur Angoulême, on prenait les petites routes en espérant secrètement tomber sur le ravisseur», se souvient Sylviane Carin, à l’époque jeune journaliste à CL.
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Parallèlement, l’enquête avance peu. Jean-Luc Maury-Laribière exige de parler à son père au téléphone. «Pour qu’on le localise, il fallait que la communication pendant 40 secondes. J’ai tenu 14 minutes, avec mon père interloqué». Mais la police perd la piste en Dordogne, sans plus de précision.
«J’ai alors proposé à Hyver que l’échange ait lieu à Paris. En prétextant que ce serait plus facile, que je serais moins surveillé», poursuit Jean-Luc. Le rendez-vous est fixé dans les toilettes d’un café de la Grande-Armée. «J’y suis allé. Dans le bar, il y avait plein de gueules pas possible, mais pas le ravisseur. J’ai retrouvé le commissaire Broussard. Les gueules pas possibles, c’était ses hommes !»
Vidé, Maury-Laribière rentre dormir à l’hôtel. C’est le commissaire Pellegrini qui l’alerte: «On a un autre rendez-vous. Dans le parking du Georges V». Jean-Luc renfile son gilet pare-balles. Alors qu’il rentre dans le parking du palace, il aperçoit une ardoise sur un kiosque à journaux avec, écrit à la craie: «Maury-Laribière libéré». «La kiosquière venait de l’entendre sur Europe 1», dit-il, encore surpris de ce coup de chance.
Dans une ferme de Dordogne
C’est en Dodogne, dans un hameau reculé de Saint-Orse, que s’est joué le dénouement, quelques minutes plus tôt. Narcisse Martin, un gendarme à la retraite, avait été intrigué par des allers et venues autour d’un gîte rural, dans le voisinage. Il prévient la police qui investit rapidement la ferme. A l’extérieur, ils arrêtent une jeune femme, pendant qu’un policier se précipite vers la chambre où est détenu depuis onze jours le patron de TBF, et entre, l’arme au poing.
- «Etes-vous Maury-Laribière ?»
- «Oui».
- Vous êtes sauvé, nous sommes la police».
Tellement stupéfait, le PDG, affublé d’un survêtement trop grand, demande au policier de lui montrer sa carte ! Il croyait sa dernière heure arrivée. La veille, son ravisseur lui avait annoncé qu’il allait être exécuté. «J’ai passé des heures affreuses, m’apprêtant à mourir».
Le captif est ramené près des siens en hélicoptère. Il demande au pilote de l’Alouette 3 de survoler son usine. Le lendemain, les 400 tuiliers sont tous réunis quand Michel Maury-Laribière fait son entrée triomphale. Tous ceux qui l’ont vécu ne l’oublieront jamais: «C’était un patron paternaliste mais assez froid. C’est la seule fois où je l’ai vu perdre son self-control, raconte Jean-Louis Née, qui couvrait l’événement pour la Charente Libre. Tout le monde pleurait. Il prenait ses ouvriers dans les bras, il les embrassait. Il était étonné de les reconnaître, comme s’il revenait d’une très longue captivité».
Le cauchemar de la famille Maury-Laribière n’est pas terminé pour autant. En ce début d’été, Jacques Hyver court toujours. A plusieurs reprises, il téléphone à Jean-Luc pour le menacer: «Si tu ne payes pas, je te ferai du mal. Je sais où sont tes enfants». Ce ne sont pas des paroles en l’air. Le 28 juillet, en région parisienne, il tue un tenancier de boîte de nuit, du nom de… Maury. Un avertissement de plus.
Le calvaire ne prend fin véritablement que trois mois plus tard. Le 10 octobre 1980, le criminel est arrêté dans une discothèque de Tours. Le 14 octobre 1983, la cour d’assises de la Charente condamne Jacques Hyver à 20 ans de réclusion et sa complice Dominique Wernert à 7 ans. Mais le procès est cassé pour vice de forme et la cour d’assises de la Gironde ramène la peine d’Hyver à 12 ans. Aux assises du Val d’Oise, c’est de la perpétuité qu’il écope pour l’assassinat du patron de discothèque.
Après une évasion rocambolesque en 1987 de la prison de Saint-Maur, Jacques Hyver a été définitivement libéré le 1er février 2005. Il vivrait en région parisienne. Michel Maury-Laribière est décédé en 1990, à 70 ans, 10 ans après le terrible épisode de son enlèvement. Dans la famille, on n’en a quasiment jamais reparlé. Les jours de blues, Jean-Luc jette un œil à la photo qu’il garde dans son bureau: ce n’est pas Jacques Hyver, mais un enfant africain victime de la famine, avec à l’arrière-plan, un vautour qui attend son heure. Chez les Maury-Laribière, on connaît le prix de la vie.
Source PSCharenteLimousine
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