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15/02/2007

Concurrence et produits de construction

La rencontre du droit, de l'économie et de la technique
(extrait d'Actualités n° 169 - novembre 2003)
La construction, un des premiers secteurs économiques français
L'activité de construction occupe, en France, 860 000 salariés et 261 000 artisans pour un chiffre d'affaires de 87 milliards d'euros hors taxes. En comparaison, les marchés de bâtiment français à l'étranger ne représentent que 5 milliards d'euros de travaux (dont 40% dans l'Union européenne et 21% en Asie du sud).
Autre réalité : les fusions dans le bâtiment et les travaux publics, qui ont donné naissance ces dernières années à quatre majors : Spie, Eiffage, Bouygues et Vinci (ce dernier né du regroupement de la SGE et de GTM). Pourtant, ces quatre groupes ne réalisent que 7,5% du CA total du bâtiment sur le marché intérieur, même s'ils pèsent d'un poids nettement plus lourd dans les travaux publics (21,7% de l'activité). Le réseau des PME françaises demeure donc la force vive du secteur.
Si la construction est une prestation de service, la fabrication et la distribution des produits de construction, en amont de l'activité du bâtiment, influent notablement sur celle-ci. La régulation "concurrentielle" de ce secteur est donc largement tributaire des marchés des produits de construction.
Or, sur ces marchés, l'examen des pratiques sous l'angle du droit de la concurrence se heurte à une difficulté : la confrontation entre des analyses économiques et juridiques "classiques", fondées sur des principes généraux (définition des pratiques anticoncurrentielles, droit des concentrations), et la complexité technique de multiples produits, dont les caractéristiques et les performances contribuent à délimiter les marchés affectés.
Les marchés des produits de construction : au confluent du droit, de l'économie et de la technique
Le corps d'enquêteurs de la DGCCRF se trouve souvent confronté, dans la détection des pratiques anticoncurrentielles de ce secteur, à l'importance de la définition de ce qu'on appelle le marché "pertinent".
Il s'agit de délimiter, en fonction de la nature de chaque produit, la zone dans laquelle le jeu de la concurrence est entravé. Pour y parvenir il faut donc combiner le droit, l'économie et la technique : en quelque sorte mettre en œuvre une polyvalence de juriste, d'économiste et d'ingénieur.
La lecture des décisions et avis du Conseil de la concurrence de ces dix dernières années confirme, dans ce secteur, la complexité de la définition du marché pertinent.
Ainsi, dans une affaire d'entente entre plusieurs entreprises fabricantes de briques plâtrières (décision n° 00-D-14 du 3 mai 2000), le marché "pertinent" a été délimité en fonction de caractéristiques techniques propres au produit, mais aussi des conditions de formation de la demande : "la brique plâtrière fait l'objet d'une demande spécifique qui ne peut être satisfaite par d'autres matériaux, en particulier dans la restauration des immeubles anciens et la construction traditionnelle". Le coût de la mise en œuvre du produit a été également pris en compte : "le coût total de la mise en œuvre (prix du produit et coût de la pose) de la brique plâtrière demeure dans les immeubles d'habitation sensiblement plus élevé que celui de deux autres matériaux (carreaux de plâtre et plaques de plâtre)".
Ces règles s'appliquent également en cas de fusion d'entreprises, pour déterminer quel secteur précis risque d'être affecté, en termes de concurrence, par la nouvelle concentration.
Là encore, les services de la DGCCRF, auxquels sont notifiés les projets de fusion, doivent déterminer, en fonction du produit, le périmètre du ou des marchés affectés.
Par exemple, en 1999, lors de l'acquisition de Migeon SA et Bisch SNC par les sociétés Koramic et Wienerberger, la définition des marchés concernés comportait une analyse complexe du secteur des tuiles et briques.
La distinction des briques en fonction de leur catégorisation (structure ou façade), de leur fonctionnalité (parois intérieures ou planchers), de leur mode de production (argile poussée ou argile moulée), était accompagnée d'une analyse de l'évolution technique du produit : progression des briques à perforations verticales en raison de leurs qualités de résistance mécanique et d'isolation supérieures à celles des briques à perforations horizontales.
Dans la recherche des pratiques anticoncurrentielles comme dans l'analyse des concentrations, la délimitation des marchés spécifiques à chaque produit tient aussi compte de la demande et de l'usage, avec un objectif bien précis : déterminer si d'autres produits peuvent se substituer, dans leur fonctionnalité, au produit examiné. Les marchés spécifiques doivent être clairement individualisés.
Ainsi, il n'y a pas lieu de distinguer les tuiles selon qu'elles sont en terre cuite ou en béton, ces deux produits constituant un seul et même marché.
A l'inverse, des distinctions ont été opérées entre briques en terre cuites et parpaings, entre briques plâtrières et plaques et carreaux de plâtres. Mais une affaire relative aux escaliers préfabriqués en béton a montré que la recherche des spécificités avait des limites : "le fait que chaque escalier constitue un modèle unique adapté aux besoins de l'ouvrage ne peut cependant conduire à distinguer autant de marchés que d'escaliers installés."
S'agissant de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des produits en béton préfabriqués, un produit, l'aggloméré en béton (parpaing), détermine à lui seul un marché unique, même s'il se décline en plusieurs hauteurs, car il est identifiable dans sa simplicité : "parallélépipède rectangle, plein ou creux, dont la longueur est constante : 50 cm".
Une donnée commune à toute analyse concurrentielle des produits de construction concourt également à la délimitation des marchés : le caractère pondéreux des matériaux. Celui-ci détermine une zone de chalandise, une zone de concurrence, qu'il s'agisse de tuiles, de briques ou de produits en béton. La dimension géographique s'apprécie au cas par cas. Elle dépend essentiellement du coût du transport, qui affecte la compétitivité des prix des produits. La délimitation des zones est donc variable. Pour les escaliers préfabriqués en béton, le marché est restreint : la zone est celle couverte par une usine de préfabrication à dimension régionale. Pour la brique plâtrière, le marché retenu était celui du Grand Ouest de la France, soit une cinquantaine de départements.
Des pratiques anticoncurrentielles marquées surtout par les ententes
L'entente sur les prix est la principale qualification retenue par le Conseil de la concurrence dans les affaires relatives aux produits de construction. Elle n'est pas la seule, mais l'abus de position dominante, lorsqu'il est reconnu, ne fait généralement que compléter cette qualification de base qui, de surcroît, vise souvent une répartition de marché. Dans les affaires précitées, les sanctions, d'ailleurs, ont été prononcées sur la base de l'article L.420-1 du code de commerce, relatif aux ententes anticoncurrentielles. L'abus de position dominante n'a été retenu que dans le seul dossier des briques plâtrières ; il était grave, toutefois, puisqu'il avait conduit à la fermeture d'une PME de 48 salariés.
Parmi ces ententes, celle relative aux produits en béton préfabriqués de la vallée du Rhône mérite d'être citée : la vague de fixation concertée des prix, partie de Marseille et de l'Hérault pour atteindre la Savoie, ne concernait pas moins de 57 entreprises, négociants et fabricants. Cette entente, qui fit passer le prix du parpaing pratiquement d'un demi-euro à un euro, était une réponse orchestrée initialement par les fabricants pour pallier une baisse d'activité.
Ce type d'entente conjoncturelle se distingue de celui, plus abrupt, de l'entente locale, qui annihile toute concurrence en organisant une rente de situation entre quelques acteurs locaux, quelquefois à l'abri d'organisations professionnelles, comme les "clubs" des escaliers en béton mis en place en Ile-de-France et en région Centre.
Enfin, plus rare, on trouve l'entente orchestrée par un acteur prépondérant qui, de ce fait, se double d'un abus de position dominante locale (brique plâtrière dans le Grand Ouest).
L'appréciation des dommages dont les entreprises et le consommateur final sont victimes
Les sanctions sont prononcées par le Conseil de la concurrence à l'issue d'une procédure contradictoire. Elles varient, selon la gravité des pratiques et le dommage causé à l'économie.
La gradation des sanctions se mesure, notamment, à l'aune du dérèglement du jeu de la concurrence et de la nature des pratiques. La qualification peut être, par exemple, motivée par la formalisation d'une entente via des clauses restrictives de concurrence figurant dans des statuts et un règlement intérieur de société, par l'existence d'un contrat d'exclusivité, dès lors que ces moyens ont conduit à dissuader la concurrence de procéder à des baisses de prix.
Les ententes ayant pour effet une répartition de marché ou des hausses artificielles de prix sont les plus sévèrement sanctionnées.
Le dommage à l'économie s'apprécie, lui, par défaut : si l'entente n'avait pas existé, qu'aurait produit le jeu normal de la concurrence ? Cela conduit à poser la question des victimes : "le dommage à l'économie résulte du niveau de prix artificiellement élevé […] et du fait que les consommateurs ont été privés de tout ou partie de l'amélioration du rapport qualité/prix qui aurait dû résulter de la combinaison des gains de productivité...et du jeu de la concurrence sur un marché en récession". Le Conseil de la concurrence a sanctionné lourdement deux fabricants d'agglomérés en béton, appartenant à des groupes de structure nationale, qui avaient entraîné un nombre important de négociants et de fabricants d'agglomérés du quart sud-est de la France dans des pratiques de hausse de prix.
On retrouve la motivation du dommage à l'économie par l'effet négatif : hausses massives des agglomérés qui représentent 10% du coût d'un logement, alors qu'il n'existe pas de produits de substitution. Là encore, ce sont les consommateurs que le Conseil désigne comme acteurs économiques victimes du dommage.
Cette appréciation de la gravité des pratiques motive des sanctions qui sont d'autant plus fortes qu'elles concernent l'éviction d'un concurrent ou des hausses artificielles durables impliquant les leaders nationaux d'un secteur. Les pratiques émanant d'entreprises ayant une notoriété importante et qui, de ce fait, peuvent animer activement une entente sont considérées comme les plus graves.
Dans cette logique, la société qui, détenant 75% de part du marché de la brique plâtrière du Grand Ouest de la France, avait, par une politique discriminatoire de rabais, faussé le jeu de la concurrence pour maintenir un niveau de prix artificiellement élevé s'est vu infliger des sanctions exemplaires, sans commune mesure avec celles des autres sociétés parties à l'entente. Il est vrai que ces pratiques avaient eu des conséquences sociales très graves (voir ci-dessus).
Enfin, dans une décision récente concernant des fabricants d'escaliers préfabriqués en béton, la sévérité à l'égard d'une entreprise a été justifiée, certes, par la durée des pratiques étalées sur trois ans, mais surtout par l'hégémonie de cette société qui assure plus de 50% de la production nationale.

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