Développer des activités de niche à l'échelle mondiale, c'est, depuis longtemps, la démarche de Legris Industries. Dans sa course à la mondialisation, le groupe breton, spécialiste des raccords souples pour la gestion des fluides, n'hésite pas à modifier radicalement son périmètre, cédant des pans importants d'activité _ les grues Potain en 2001 ou encore Comap en mars _ pour procéder à d'autres acquisitions. Prochain achat : celui de Ceric.
Nos capacités financières nous permettent de racheter trois entreprises au cours des trois prochaines années. Nous comptons jeter notre dévolu sur des sociétés de 100 à 300 millions d'euros de ventes annuelles », déclarait en juillet dernier Hugues Robert, quarante et un ans, le directeur général du groupe Legris Industries. Cette explication intervenait quelques semaines seulement après la cession de la Comap, qui aurait rapporté environ 120 millions d'euros, conférant au groupe spécialisé dans les raccords souples pour les fluides et diversifié dans la logistique une partie de la marge de manoeuvre dont il a besoin pour mener à bien sa stratégie de croissance externe. Une stratégie qui se concrétise à travers le projet de rachat (1) _ pour un montant non précisé _ de la société parisienne Ceric, un concepteur et constructeur d'usines de fabrication de produits en terre cuite et d'autres matériaux de construction. Affichant 300 millions d'euros de chiffre d'affaires avec 1.600 salariés répartis entre 20 filiales dans le monde, cette entreprise est née en 1960 de l'initiative de deux ingénieurs céramistes. Elle a toujours conservé son capital familial mais, âgés de plus de soixante-quinze ans, Michel Rasse et Jean Mérienne souhaitaient vendre prioritairement à un acquéreur attaché aux valeurs patrimoniales.
Se rapprocher d'entreprises familiales est aussi un objectif du management de Legris Industries qui, pendant une vingtaine d'années, s'est plié aux exigences de la Bourse avant de s'en retirer en mars 2004. Non sans une véritable satisfaction. Hugues Robert, le bras droit du très discret président du directoire Pierre-Yves Legris, cinquante et un ans, justifie : « Les analystes financiers comprennent mal nos métiers et leurs évolutions, même si notre stratégie est claire et inscrite dans le long terme. » Résultat : la famille Legris et celle d'Yvon Jacob, le président du conseil de surveillance, possèdent désormais 61 % des parts de la société Frégate, holding dans lequel les fonds Chequers Capital et Arnold & S. Bleichroeder ont pris une participation de 31 % aux côtés du personnel (8 %).
Si Legris Industries a toujours maintenu dans son périmètre son métier d'origine, la conception et la fabrication de raccords automatiques pour la gestion des fluides dans l'industrie (division Legris SA), né de l'invention en 1969 du raccord instantané _ sans soudure _, il n'hésite pas à se séparer de certaines de ses activités. « On choisit simplement le moment opportun », poursuit l'HEC Hugues Robert.
Implantation d'une usine en Chine
Meilleur exemple de cette politique : la vente, il y a huit mois, du fabricant de raccords de plomberie pour l'habitat Comap, qui représentait 40 % de son chiffre d'affaires. « Sa cession à Aalberts Industries a été une très bonne décision, puisqu'elle s'est conclue au moment de la sortie d'une nouvelle gamme de produits innovants, immédiatement commercialisée dans l'ensemble du réseau du groupe néerlandais », juge Hugues Robert, avant de préciser : « Surtout, nous avions conscience que cette société avait une taille insuffisante pour prétendre devenir rapidement l'un des leaders mondiaux de sa spécialité. »
La volonté de Legris Industries de développer des activités de niche mais à l'échelle mondiale est gravée dans le marbre depuis des lustres. La reprise de Ceric répond à cette exigence. Legris SA est en passe d'atteindre une telle maturité. Il dispose de 10 sites industriels et de logistique répartis en Europe, en Amérique et en Asie. S'y ajoutent 25 implantations commerciales. Les activités de cette division dans l'Hexagone ne représentent plus que 21 % de ses 208 millions d'euros de chiffre d'affaires, contre 50 % pour le reste de l'Europe et 19 % pour l'Amérique. Cette longue marche vers la mondialisation se poursuit, puisque Legris SA a récemment implanté une usine en Chine. Et si, aujourd'hui, elle ne génère que 4 millions d'euros de chiffre d'affaires, celui-ci devrait grossir rapidement car les besoins du marché local sont énormes. Le directeur général justifie aussi ce choix par la nécessité de fournir des matériels à bas prix, alors qu'en Inde, les industriels étant très soucieux de qualité et disposés à investir, le groupe peut exporter ses produits fabriqués dans le Vieux Continent.
Pour orchestrer cette mondialisation, « nous avons petit à petit mis en place les moyens humains nécessaires », estime-t-il encore. Une cinquantaine de personnes installées au siège, à Rennes, dans un immeuble du XIXe siècle, admirablement restauré, pilotent les différents métiers. Parmi elles, les principaux dirigeants de l'entreprise se retrouvent dans un comité de développement. Ce véritable gouvernement se réunit tous les deux mois et définit les grands axes de la politique à mettre en oeuvre.
L'accent mis sur la R&D
Compter parmi les leaders sur ses marchés oblige évidemment Legris Industries à consacrer une part importante de ses activités à la R&D. Il fait d'ailleurs partie des groupes familiaux qui, en France, déposent le plus de brevets. Ainsi, si sa division Savoye (73,8 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2005), spécialisée dans la logistique, réussit « dans un environnement particulièrement concurrentiel », elle le doit pour beaucoup aux innovations, selon Charles-Antoine de Barbuat, son patron. Savoye conçoit les logiciels, les process informatiques, les systèmes de tri et de stockage automatisé de plates-formes importantes, avec comme client, par exemple, Décathlon, pour lequel elle vient de mettre en place trois outils en Italie et en France. En Grande-Bretagne, l'entreprise, qui enregistre 40 % de ses activités à l'export, a également signé il y a peu avec Next, le premier fabricant anglais de textile, un contrat pour la construction d'une plate-forme. Chaque année, Savoye enregistre une hausse de ses activités de l'ordre de 20 %.
Inquiétudes au sein du personnel
Le management de Legris Industries considère que sa ligne stratégique ne comporte aucune part d'ombre, pourtant le personnel s'inquiète souvent de ses allers et retours. Le groupe a été présent à une époque dans les grues _ Potain a été revendu en 2001 _ et longtemps dans le froid industriel. Il a aussi contrôlé une entreprise de conception et de fabrication de chariots automatiques. Toutes ces sociétés ont été cédées, et d'autres suivront. Ainsi, la direction de Legris Industries ne cache pas que le sort d'Autoline (150 salariés) pourrait se jouer à court terme. Cette société, installée dans la périphérie rennaise et qui possède une autre usine au Mexique, fabrique des raccords en caoutchouc pour l'automobile. Mais sa taille est jugée trop modeste face aux constructeurs et aux équipementiers.
Après une grève de quelques heures largement suivie en juillet 2005, Bénédicte Peronnin, la directrice des ressources humaines, également membre du directoire, a élaboré un « Guide du manager ». Véritable vade-mecum, il est utilisé par les 800 directeurs de sites, managers et cadres, priés de s'en inspirer pour respecter « leur feuille de route ». Par ailleurs, « Cap tendance », une lettre d'informations économiques, informe tous les mois en 5 langues l'ensemble du personnel, composé de 35 nationalités.
Pierre-Yves Legris a aussi créé l'Université Legris, où sont dispensées des formations à l'économie d'entreprise. Plus de 1.200 salariés ont déjà eu droit à un stage d'une journée et un second cursus vient d'être créé afin d'améliorer le dialogue social.
Toujours pour souder le personnel dispersé à travers le monde, Legris Industries revient à ses habitudes passées de sponsoring de la voile. Le médiatique Pierre Legris, le père de l'actuel dirigeant, avait participé au financement d'un bateau engagé dans l'America's Cup. Mais Pierre-Yves, s'il juge utile de fédérer ses 3.000 collaborateurs autour d'une passion sportive commune, a, lui, choisi de parrainer une équipe française de voile pour la préparation des prochains jeux Olympiques de Pékin. L'état-major attend un gain de notoriété en France mais surtout en Chine, où les premiers pas du groupe restent, à ses yeux, trop méconnus des dirigeants locaux.
Toujours pour corriger le déficit de notoriété, Pierre-Yves Legris a adhéré au Pacte mondial de l'ONU et s'implique dans le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises. Son objectif : réduire la consommation énergétique de l'ensemble de ses sites industriels et montrer ainsi qu'il participe activement à la lutte contre l'effet de serre.
(1) Les autorités de la concurrence doivent d'abord se prononcer avant que l'opération ne soit effective, d'ici à la fin de cette année, espèrent les dirigeants de Legris. // Spécialiste des raccords souples pour les fluides et diversifié dans la logistique, le groupe Legris s'est séparé de 40 % de son chiffre d'affaires en cédant Comap en mars.
Source Les Echos par STANISLAS DU GUERNY
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