Dix ans jour pour jour après la signature des accords de Paris, le gouvernement a présenté son projet de Stratégie nationale bas-carbone (SNBC-3), troisième du nom après celles de 2015 et 2020. Si cette date a été choisie pour inscrire cette feuille de route encore en consultation pendant trois mois, dans les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique définis dans les accords de 2015, cette troisième stratégie climatique prend un net virage.
Les objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) jusqu’en 2050 s’intègrent désormais dans les politiques budgétaires austéritaires en cours qui ne visent qu’à diminuer les dépenses publiques, pour un retour des déficits publics sous la barre des 3 % du PIB d’ici 2029. La SNBC-3 risque donc de manquer de moyens et d’envergure, alors que les transformations envisagées nécessiteraient 80 milliards d’euros d’investissements publics comme privés supplémentaires par an par rapport à 2024 jusqu’en 2030.
« Ce n’est pas le grand soir »
« Ce n’est pas le grand soir », a prévenu la ministre de la transition écologique dans un entretien aux Echos, ce vendredi matin. Monique Barbut s’en remet donc aux réponses technologiques « désormais matures », comme la voiture électrique ou la pompe à chaleur à un « grand plan d’électrification sur lequel nous travaillons avec le ministre de l’Economie », alors que la France est sans loi de programmation pluriannuelle de l’énergie depuis deux ans ainsi qu’au mécanisme des certificats d’économies d’énergie fondé sur le principe pollueur payeur, qui taxe de manière indéterminée les trop grands émetteurs d’équivalents CO2, qu’ils soient pauvres ou riches, grandes entreprises ou petites PME.« C’est un plan d’action ultra-précis, » presse-bouton «, qui trace un chemin réaliste vers le monde de 2050, compatible avec les contraintes budgétaires et la trajectoire des finances publiques. Une transition qui n’est pas intrusive et qui ne demande pas de changements dans nos modes de vie (aucun objectif sur l’alimentation et la viande, ndlr) », précise le cabinet de la ministre.
Le gouvernement promet aussi la fin du « stop and go, des politiques oscillantes dans la transition écologique ». Le projet de budget de l’Etat 2026 tel que présenté par Sébastien Lecornu est pourtant truffé de reniements financiers : coupes de 750 millions dans MaPrimeRénov, de 650 millions du Fonds vert, de 500 millions des crédits de paiement de l’ANAH (amélioration de l’habitat), de 75 millions dans les aides de l’ADEME (agence énergie-climat) au recyclage…
Objectifs 2030, 2040 et 2040
Sur le chemin vers la neutralité carbone en 2050, les points de passage sont inchangés :
- 2030: réduction de moitié de nos émissions territoriales (50 % de nos émissions si l’on ne prend pas en compte celles importées) d’ici 2030 par rapport à 1990
- 2040: -90 % des GES
Premiers pollueurs, les transports doivent passer de 33 % des émissions brutes françaises à 26 % d’ici 2030 pour atteindre la quasi-neutralité en 2050. Sur les routes, le tout électrique demeure l’alpha et l’omega de la stratégie de l’exécutif, avec des objectifs très ambitieux : l’électrique devra représenter 66 % des ventes de voitures neuves dès 2030 alors qu’elles comptaient pour 26 % en novembre dernier. De même, les transports collectifs décarbonés devront accueillir 25 % de voyageurs en plus d’ici 2030. Et après avoir détruit Fret SNCF, le gouvernement mise sur… le fret ferroviaire pour décarboner le transport de marchandises ; les transports maritimes et aériens ayant des objectifs plus flous.
« On ne lâchera pas, même si l’État est en dessous de tout » : au Salon des maires, des élus bien seuls face à la transition écologique
Autre étonnement, côté cette fois mixe énergétique, malgré l’absence de Programmation pluriannuelle de l’énergie, la SNBC-3 fixe une sortie de pétrole entre 2040 et 2045 et la fin du gaz fossile en 2050. L’électricité devra représenter 55 % de la consommation énergétique en 2050, contre 37 % en 2023.
L’agriculture, deuxième secteur émetteur (20 %), va devoir diminuer ses rejets de 28 % d’ici 2030, de 54 % d’ici 2050. Les progrès escomptés se fondent sur une diminution de l’utilisation des engrais azotés (-50 % d’ici 2050), sur une décarbonation des machines et bâtiments, alors que le gouvernement soutient toujours la détaxe du GNR agricole (une niche fiscale qui a coûté 1,7 milliard d’euros en 2023). Si l’on en croit la SNBC-3, l’agriculture productiviste fortement azotée devra avoir cédé la place aux systèmes agroécologiques (50ù des surfaces cultivées en 2050, au bio (25 % au lieu d’à peine 10 % aujourd’hui) et à une « agriculture de précision » (25 %).
Émissions importées
Pour l’industrie (17 % de GES), le gouvernement se fonde sur les engagements pris par les 55 sites les plus pollueurs, l’utilisation des technologies vertes et l’électrification des usages, pour atteindre la neutralité carbone résiduelle en 2050. Jusqu’à présent, la désindustrialisation explique en grande partie la diminution des émissions entre 190 et aujourd’hui, de 145 millions à 63 millions de tonnes CO2.
Enfin, le gouvernement prend pour la première fois en compte les émissions importées dans ses objectifs : soit 563 Mt CO₂e. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, ces émissions ramenées par habitant devront passer de 8,2 t CO₂e par personne à aux alentours de 2 tonnes. Soit un total changement de mode de vie.
Comment ? « En réindustrialisant la France, grâce à une industrie plus performante environnementalement et un mix électrique », envisage le ministère de la transition écologique. Et par la sobriété ? « Il y a l’hypothèse de la lutte contre la fast fashion, croit savoir le cabinet de la ministre. Mais nous n’avons pas de levier sur les comportements des Français. Notre transition est basée sur le découplage entre les émissions de gaz à effet de serre et le produit intérieur brut. Les premières décroissent, le second augmente. »