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15/12/2016

De la terre en architecture, qui l'eût cru ?

Terre ! Terre ! Est-ce là l'acclamation d'un naufragé ? Il en va plutôt de l'aspiration d'architectes contemporains. L'exposition 'Terres de Paris' présentée au Pavillon de l'Arsenal jusqu'au 8 janvier 2017 se veut, en la matière, didactique et pédagogique. L'enjeu est de rendre la terre crue indispensable à la construction d'ici quelques années.
Paul-Emmanuel Loiret, co-commissaire de l'événement est clair : un alignement de planètes se montre favorable à la terre !
Déjà, l'agence Joly&Loiret avait proposé, à l'occasion de Réinventer Paris, la mise en oeuvre de briques de terre crue. En vain car le projet n'a finalement pas été retenu.
Il y avait toutefois, autour d'un dessein original, une grande curiosité. C'était donc l'opportunité de poursuivre une réflexion menée sur un matériau mésestimé. Voilà qui pouvait paraître d'autant plus pertinent, qu'enseignant à l'école d'architecture de Grenoble et proche de CRAterre – ce laboratoire dédié à la construction en terre –, Paul Emmanuel Loiret s'est montré toujours plus familier d'un sujet désormais d'actualité.
Les circonstances sont également favorables à un tel développement. Il y a, tout d'abord, pour asseoir cette recherche, le regain d'intérêt pour l'habitat vernaculaire et les techniques dites «low tech». Il y a, ensuite, un véritable effet d'aubaine : le Grand Paris Express, ce vaste réseau circulaire de transport sous-terrain, participera, d'ici peu, à l'incroyable brassage de terre d'ores déjà opéré par les nombreux chantiers de construction en région parisienne. A l'horizon 2030, ce sont donc 400 millions de tonnes de terre qui seront extraits dont 15 % pour la seule création des futures lignes de métro 15 et 16.
Si nombre de rapport ont fait état, jusqu'à présent, de l'impossibilité d'utiliser les différentes terres extraites lors de ces travaux, l'exposition tente de démontrer l'inverse.
En plus de sensibiliser un large public sur la question de la construction en terre crue, la présentation illustre – notamment par de superbes photographies de Schnepp Renou – la manière dont la terre est aujourd'hui traitée. «Nous ne devons plus la considérer comme un déchet mais comme une ressource», souligne l'architecte.
La brique de terre crue s'annonce alors comme une «chance». Si les économies d'énergie quant aux usages sont réelles, il y a, selon l'homme de l'art, encore bien des progrès à faire quant au processus de transformation de la matière. Les efforts sont ainsi à concentrer sur «l'énergie grise» à savoir sur la fabrication, le transport mais aussi la mise en œuvre. «La production de ciment représente, à elle seule, 7% de la consommation énergétique mondiale», dit-il.
La brique de terre crue semble alors être une réponse pertinente. Elle exige, en effet, pour sa production, peu d'énergie, en plus d'être – contrairement au ciment – recyclable à l'infini. «Ce sont ces propriétés qui font l'intérêt de ce matériau», explique-t-il.
L'exposition fait aussi un bref état des lieux quant aux recherches menées aujourd'hui en France. Déroulés sur une grand tablée, processus de fabrication et tests en tout genre montrent qu'il est possible de faire bon usage des terres extraites des chantiers grand-parisiens. Paul-Emmanuel Loiret aime même à s'arrêter sur un procédé encore original : «le béton d'argile».
«Nous nous inspirons des techniques du béton et cherchons à trouver un état liquide à même de se solidifier rapidement. C'est un procédé encore expérimental qui nécessite un adjudant capable de liquéfier les grains d'argile», explique-t-il.
L'exposition présente quelques rares réalisations ; si l'utilisation de la terre tend à se répandre, sa seule mise en œuvre reste rare. Trop souvent, les bureaux de contrôle obligent l'incorporation d'un peu de ciment. Paul-Emmanuel Loiret et Serge Joly s'inscrivent en faux contre cette technique et appellent de leurs vœux davantage de déontologie.
Si l'exposition manque d'une mise en perspective historique, les deux commissaires défendent parfaitement ce parti : «Nous ne voulions pas faire référence à la riche histoire de la construction en terre pour que chacun, en venant ici, puisse se projeter plus facilement», expliquent-ils.
En d'autres termes, il s'agit de faire de la terre un matériau contemporain. L'appel est donc lancé auprès des architectes mais aussi des industriels français en retard par rapport à leurs homologues allemands. Outre-Rhin, une véritable filière de production en terre crue est déjà opérationnelle.
Bref, une exposition passionnante, particulièrement utile et surtout bien venue!
Le Courrier de l'Architecte par Jean-Philippe Hugron

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